L'article "Comment battre la mesure" dans Philosophie Magazine d'octobre 2024 explore les tensions entre le rythme imposé par la société et notre propre tempo intérieur. Il met en évidence la difficulté de trouver un équilibre entre la cadence frénétique de la vie moderne et les besoins individuels de ralentir ou d'adapter son rythme. Dans une société où les pressions extérieures (travail, famille, obligations sociales) dictent souvent notre emploi du temps, le sentiment d’aliénation croît. Cette aliénation, déjà analysée par des philosophes comme Georg Simmel au début du 20ème siècle, est accentuée par la mécanisation, la rapidité des échanges, et l’omniprésence des communications modernes.
Simmel observe que la ville moderne provoque une "intensification de la vie nerveuse", un phénomène toujours d’actualité dans nos sociétés surconnectées. Nous sommes souvent déphasés, incapables de nous adapter aux rythmes naturels ou même à nos besoins physiques fondamentaux comme le sommeil.
Deux voies principales pour retrouver un "bon rythme" sont examinées dans l’article. La première consiste à chercher à l’extérieur, dans les cycles naturels et cosmiques, comme le retour aux saisons ou à la nature, un modèle harmonieux. Platon, par exemple, associe le rythme à un ordre cosmique. Ce retour aux sources se manifeste aujourd'hui par des mouvements vers la ruralité ou des pratiques agricoles en accord avec les cycles lunaires.
La seconde approche, plus introspective, est d’écouter les rythmes intérieurs, comme le suggère Henri Bergson. Il distingue le temps mesurable et la "durée", une continuité vécue de manière subjective. Maurice Merleau-Ponty reprend cette idée en montrant que nos rythmes biologiques, comme les battements du cœur ou le souffle, sont fondamentaux pour notre relation au monde.
Cependant, cette quête du rythme parfait est souvent contrariée par la société moderne. Jonathan Crary, dans 24/7, décrit comment le capitalisme moderne a effacé la distinction entre temps de travail et temps de repos, perturbant profondément nos rythmes naturels et augmentant le risque de burn-out.
Pour sortir de cette impasse, l’article propose d’inventer un nouveau "pas de deux" entre soi et le monde, en résonance avec ce dernier, comme le suggère le philosophe Hartmut Rosa. Il s’agit de trouver une harmonie dynamique entre nos rythmes personnels et les exigences du monde extérieur, sans tomber dans l’excès d’une routine rigide ou d’une anarchie épuisante.
Finalement, le philosophe Henri Lefebvre développe le concept de "rythmanalyse", où l’espace urbain est perçu à travers ses rythmes sociaux et architecturaux. Cette analyse aide à comprendre comment les rythmes individuels et collectifs interagissent dans l’espace et le temps.
L’article conclut en abordant la notion d’"idiorrythmie", introduite par Roland Barthes, où chaque individu suit son propre rythme tout en étant intégré dans une structure collective. Cela souligne que la question du rythme est fondamentalement liée au pouvoir et à la capacité de chacun à dicter son propre temps, un enjeu qui reste central dans notre société moderne.
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Philosophie Magazine. (2024, octobre). Battre la mesure. Philosophie Magazine, (183), 44-47.
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