top of page

L’otium comme outil d’émancipation collective 4/5

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 16 janv.
  • 4 min de lecture

 

Cet article fait partie d'une série spéciale consacrée à L’Otium du peuple : À la reconquête du temps libre de Jean-Miguel Pire, un ouvrage qui propose de redécouvrir le temps libre comme un espace d’émancipation personnelle et collective dans nos sociétés contemporaines.

 


L’otium, longtemps relégué au rang d’une activité marginale, prend aujourd’hui une résonance nouvelle face aux défis contemporains. Alors que les rythmes frénétiques de la modernité menacent notre autonomie individuelle et collective, ce "loisir fécond", issu de la philosophie antique, se révèle un outil puissant pour repenser nos sociétés. Jean-Miguel Pire explore les implications politiques et sociales de l’otium, en partant de son rôle historique jusqu’à ses perspectives pour l’avenir.


1. De l’individu à la société : l’otium comme bien commun


Un héritage antique pour le bien commun

Dans l’Antiquité, l’otium n’était pas une simple oisiveté, mais un temps libéré des contraintes matérielles et dédié à la réflexion, à la quête de vérité, et à l’amélioration de soi. Ce loisir fécond servait non seulement l’individu mais aussi la société. En se perfectionnant, le citoyen contribuait au bien commun, renforçant ainsi la cohésion et la prospérité de la cité.


Pierre Bourdieu, sociologue renommé, qualifie l’otium de "possibilité anthropologique universelle", soulignant qu’il s’agit d’un besoin fondamental pour tous les êtres humains, quelle que soit leur condition sociale. Selon lui, chaque individu devrait bénéficier des conditions nécessaires pour accéder à ce temps de réflexion et de créativité, indispensable au développement d’une pensée autonome, rationnelle et libre des contraintes immédiates imposées par le travail ou les urgences matérielles.

En d’autres termes, l’otium, trop souvent réservé à une élite dans l’Histoire, devrait être démocratisé et accessible à tous. Ce temps libéré pourrait alors devenir un pilier essentiel pour permettre à chacun de cultiver son esprit critique, de s’épanouir personnellement et de contribuer à une société plus équilibrée, où le bien-être et la réflexion collective l’emportent sur la seule logique de productivité.


2. Repenser la démocratie à l’aune de l’otium


L’otium et le débat public

Le loisir fécond, en offrant un temps pour la réflexion et l’introspection, est essentiel à une démocratie saine. La participation éclairée des citoyens aux débats publics nécessite un espace pour construire des idées, questionner des dogmes et développer une rationalité critique. Or, la pression de l’urgence, renforcée par les écrans et les réseaux sociaux, sabote ce processus. L’espace public est de plus en plus capté par des discours émotionnels, souvent simplistes, qui réduisent la capacité de réflexion collective.


Un remède contre la captation émotionnelle

Foucault, dans ses travaux sur le "souci de soi", met en lumière l’importance de l’otium pour développer une autonomie éthique, c’est-à-dire la capacité de réfléchir de manière critique et indépendante sur ses propres valeurs, actions et décisions. Selon lui, cette autonomie est essentielle pour résister aux manipulations extérieures, qu’elles proviennent des médias, des institutions ou des logiques de contrôle social, notamment celles exacerbées par les nouvelles technologies.


En pratiquant l’otium, on cultive un temps de recul nécessaire pour analyser les situations avec rationalité, plutôt que de réagir uniquement sous l’effet de l’émotion ou de l’urgence. Cela permet non seulement de renforcer sa lucidité personnelle, mais aussi de participer activement et de manière éclairée aux débats publics. Dans une démocratie où les discours sont souvent fragmentés et dominés par l’instantanéité des réseaux sociaux, revaloriser l’otium serait un moyen de réintroduire des échanges plus rationnels, nuancés et constructifs, en dépassant les pièges de l’immédiateté et des émotions amplifiées par les algorithmes.


3. Un loisir fécond pour tous : démocratiser l’otium


Pour que l’otium devienne une réalité collective, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Accès égalitaire au temps libre : Les inégalités sociales rendent difficile pour beaucoup de consacrer du temps à des activités non utilitaires. Une réduction du temps de travail et une meilleure répartition des richesses sont essentielles.

  • Éducation à la réflexion et à la créativité : L’otium nécessite une éducation qui valorise l’imagination, la pensée critique et la curiosité, des qualités souvent négligées dans un système scolaire orienté vers la rentabilité.

  • Un environnement culturel propice : Les institutions culturelles, les espaces publics et les politiques sociales doivent encourager et soutenir des pratiques d’otium accessibles à tous.


L’otium du peuple : une société plus équilibrée

Comme le souligne Jean-Miguel Pire dans L’Otium du peuple, ce loisir fécond pourrait devenir une ressource universelle, un outil pour rééquilibrer nos vies et nos sociétés. Loin de se limiter à un plaisir personnel, l’otium redéfinit le rôle du citoyen : il devient un acteur éclairé et responsable, capable de contribuer à un projet collectif plus juste et harmonieux.


L’otium, bien plus qu’un luxe ou une utopie, est une réponse aux aliénations modernes. En redonnant au temps libre sa profondeur et sa richesse, il pourrait transformer notre société en un espace où l’autonomie individuelle et le bien commun se nourrissent mutuellement. Dans cette perspective, faire de l’otium un droit et une pratique universelle serait une révolution silencieuse mais déterminante pour un avenir plus libre et éclairé.


Dans le prochain et dernier article, nous verrons comment intégrer l’otium dans notre quotidien pour en faire une véritable pratique personnelle et collective.


________

Pire, J.-M. (2024). L'otium du peuple : À la reconquête du temps libre. Éditions Sciences Humaines.

Comments


  • Instagram
  • LinkedIn
  • TikTok
bottom of page