L'être humain semble constamment animé par un désir profond de continuer à exister et de se réaliser. J'ai déjà exploré le concept du conatus chez Spinoza, cette force intérieure qui pousse chaque être à persévérer dans son être. Cependant, ma quête de compréhension m'a conduite à élargir ma réflexion en découvrant la théorie de l'élan vital de Bergson. Là où Spinoza insiste sur la persévérance, Bergson introduit une dynamique plus expansive, où la vie est perçue comme une force créatrice, en perpétuelle innovation et évolution.
Henri Bergson, philosophe français, est surtout connu pour ses travaux sur la durée, la conscience, et sa célèbre théorie de l'élan vital. Cette notion d'élan vital constitue le cœur de sa réflexion sur la vie, l'évolution et le mouvement créatif inhérent à l'existence. L'élan vital, en tant que force fondamentale, offre une perspective pour comprendre le besoin de se réaliser, un thème qui traverse aussi bien la philosophie que la psychologie humaniste.
L'élan vital est une force de création
Dans L'Évolution créatrice (1907), Bergson introduit le concept d'élan vital, une force vitale qui dépasse les explications mécaniques de l'évolution, comme celles inspirées par Darwin. Selon Bergson, la vie ne peut pas être réduite à des lois physiques ou biologiques : elle est animée par une force créatrice qui pousse les êtres vivants à innover, à croître et à évoluer de manière imprévisible.
L'élan vital est une impulsion immatérielle, non réductible aux simples mécanismes physiques ou biologiques. Pour Bergson, la vie n'est pas seulement un ensemble de processus chimiques ou physiques, mais un élan fondamental qui la conduit à s'exprimer de façon toujours plus riche et complexe, dépassant ainsi les explications purement matérielles. Cette force créatrice donne à la vie son dynamisme et sa capacité d'évolution continue.
Le mouvement vers la réalisation de soi
L'idée d'élan vital peut être reliée à une conception plus large du besoin de se réaliser chez l’être humain. Pour Bergson, la vie humaine, comme toute forme de vie, est mue par cette impulsion fondamentale vers la création et l'auto-dépassement. L’humain, au sommet de la chaîne évolutive, est doté d’une conscience capable de saisir cette dynamique, et c'est cette conscience qui pousse l’individu à se réaliser pleinement.
La réalisation de soi, chez Bergson, n'est pas seulement une question de satisfaire des besoins externes ou matériels. C'est un processus d'auto-création continue. Dans cette perspective, l’homme, en tant qu’être vivant, participe à cet élan vital, et son existence même est une quête de réalisation personnelle. La créativité, l'invention, et l'expression de soi deviennent ainsi des manifestations de l'élan vital à l’échelle individuelle.
L'évolution créatrice et la liberté de devenir
Une autre caractéristique essentielle de l'élan vital, selon Bergson, est son lien étroit avec la liberté. Là où la nature semble parfois mécaniste, déterminée par des lois strictes, la vie, elle, conserve toujours une part d’indétermination, une capacité à créer de nouvelles formes, à dévier des routes tracées d’avance. L’être humain, dans ce cadre, est libre non seulement d'agir, mais aussi de devenir. Cette liberté est directement liée au besoin de se réaliser, car elle permet à l’individu de façonner son existence en fonction de ses aspirations intérieures, de son potentiel créatif.
La réalisation de soi chez l’humain se manifeste donc dans l'action créatrice, qu'il s'agisse d'innovation artistique, scientifique, ou même de croissance personnelle. Cette capacité à créer, à dépasser les limites du déterminisme, fait partie de l’essence de l’élan vital. L’homme n’est pas contraint à rester ce qu’il est, mais est poussé à se réinventer, à s’épanouir et à se transcender. Bergson insiste sur l'idée que l’évolution et la vie humaine sont imprévisibles et ouvertes à de multiples possibles. Cette liberté de création et de réalisation est une composante essentielle de l’existence humaine.
La réalisation comme dépassement de la passivité
Enfin, pour Bergson, ne pas répondre à cet élan vital, rester passif face à son potentiel créatif, revient à s'opposer à la force même qui anime la vie. La réalisation de soi nécessite une participation active à ce mouvement de la vie. Il ne s’agit pas de se laisser porter par les événements ou les circonstances, mais bien d'y répondre en agissant de manière créative et en explorant les voies que la vie ouvre devant nous.
Le besoin de se réaliser, selon cette vision, est donc un besoin fondamental, car il s’inscrit dans la logique même de la vie et de l’existence. Chaque être vivant, en particulier l’être humain, est invité à explorer son propre élan vital, à le canaliser pour créer, et à dépasser les simples exigences de survie pour atteindre un niveau supérieur d’existence.
Critique
Ce que j'aime chez Henri Bergson, à travers sa théorie de l'élan vital, c'est sa vision profondément optimiste et créative de l'existence humaine. Il voit chez l'être humain une liberté de création et de réalisation qui dépasse les limites du déterminisme. Cette impulsion pousse chaque individu à grandir, à innover, et à devenir plus que ce qu'il n'est au départ.
Mais pourquoi devenir toujours plus que ce qu'on est au départ ?
Pour Bergson, nous avons en nous une capacité de dépassement, une impulsion créative. Cette quête de croissance et d'innovation est donc inscrite dans la nature même de la vie, un moyen pour chaque être humain d'affirmer son individualité et d'explorer les multiples possibilités de l'existence.
A bon escient c'est tres positif, mais cette même force créative, cet élan vital, peut aussi conduire à des excès. L’idée d'une poussée ininterrompue vers la croissance, l’innovation et le dépassement de soi peut parfois enfermer l’humain dans une logique de surenchère, où il cherche constamment à faire plus, à produire davantage, à ériger toujours plus de gratte-ciel. Si cette force créatrice n'est pas canalisée ou maîtrisée, elle peut pousser à des excès d'ambition, de contrôle ou de domination, dans une quête infinie de dépassement de soi. Ce qui était au départ une impulsion créatrice peut alors devenir destructeur, que ce soit sur le plan personnel, social, ou environnemental.
C'est pour cette raison que, malgré l'inspiration que je trouve dans la vision de Bergson, je me sens plus proche du conatus de Spinoza, qui place le désir et les émotions au cœur de la quête humaine. Contrairement à Bergson, Spinoza voit dans le conatus une force plus enracinée dans la nature humaine, dans la recherche de la persévérance et de la préservation de soi. Ce désir n'est pas uniquement tourné vers la croissance infinie, mais il est modéré par la réalité des émotions, des limitations et du besoin d’équilibre.
Là où Bergson pousse vers une expansion continue, Spinoza propose un travail de la raison essentiel pour réguler cette impulsion créatrice. Ce travail de la raison, selon moi, est crucial pour tempérer nos désirs et éviter les excès de l’élan vital. Spinoza offre ainsi une approche plus équilibrée et harmonieuse, où l'humain ajuste ses aspirations à ses capacités réelles et aux conditions extérieures, limitant la quête sans fin.
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Bergson, H. (1907). L'évolution créatrice. Les Presses universitaires de France.
St-Germain, F. (2017). Nietzsche et Bergson : Élan vital et volonté de puissance contre la métaphysique de la représentation. Ithaque, 21, 237-259. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/19615/st-germain-19615.pdf
Tremblay, J. (1958). La notion de philosophie chez Bergson. Laval théologique et philosophique, 14(1), 30-76.
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