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Photo du rédacteurSandie Carissan

La flâneuse



Depuis mon arrivée à Paris, je n'écris pas beaucoup. Non pas par manque d’envie ou d’idées, mais parce que je suis happée par cette ville qui ne cesse de m’éblouir. Je contemple, je visite, je profite. Je flâne.


Victor Hugo disait : « Errer est humain, flâner est parisien. » Ces mots résonnent avec ma propre expérience. Flâner à Paris, c’est un art à part entière. Chaque coin de rue, chaque café, chaque librairie, chaque jardin est une invitation à la découverte. Il y a une sorte de magie dans ces moments où l’on se perd volontairement, où l’on s’ouvre à ce que Paris veut bien offrir.


Je passe mes journées à dire : « WOW ».


La philosophie antique, et particulièrement les Stoïciens, parlait de l’importance de vivre en accord avec une temporalité douce. En me promenant dans les rues parisiennes, je me sens proche de cette idée. Le temps s’étire, et je redécouvre l’art de l’otium où la contemplation devient une forme d’accomplissement.


Je pense à trois penseurs qui, chacun à leur manière, ont mis en lumière l’art de flâner.


Walter Benjamin, dans Le livre des passages, évoquait le flâneur comme un explorateur moderne, quelqu’un qui arpente la ville avec une curiosité détachée. Il voyait Paris comme une ville faite pour l’errance, où chaque passage couvert, chaque trottoir, peut devenir une épopée intime. En flânant, je participe, je crois, à cette tradition où l’errance devient une expérience sensorielle et spirituelle.


Charles Baudelaire, dans son essai Le Peintre de la vie moderne, célèbre également la figure du flâneur, ce promeneur solitaire qui parcourt la ville en quête d’impressions fugaces et de beautés inattendues. Pour lui, flâner, c’était capter les éclats de la modernité tout en restant un observateur détaché, presque invisible. Dans le poème « À une passante », il capture avec une intensité unique cet éphémère qui caractérise la flânerie : une rencontre furtive dans la foule, une beauté entrevue et aussitôt perdue. Cette quête d’émotions et de sensations donne à la flânerie une profondeur presque métaphysique.


En explorant les bords de Seine ou les ruelles pavées, je me sens aussi proche des rêves de Rousseau, qui aimait marcher pour mieux penser. Il considérait que la méditation se nourrissait du mouvement, et que chaque promenade était une invitation à réfléchir, à s’abandonner à ses propres pensées. Je crois que mes errances parisiennes nourrissent une énergie créative silencieuse, prête à éclore au moment opportun.


J’ai beaucoup voyagé et arpenté le monde, mais je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’ici. Paris offre une promesse infinie d’émerveillement. Chaque jour apporte son lot de surprises : un balcon fleuri qui échappe au regard distrait, un marchand de livres anciens installé le long de la Seine, une boutique de fleurs en papier ou une lumière dorée qui transforme une ruelle banale en chef-d’œuvre impressionniste. Cette ville m’apprend à ralentir, à savourer l’instant présent, et à redécouvrir encore et encore l’art de vivre.


Un jour, je suis sortie du métro et j’ai vu la place de la Concorde illuminée, avec la Tour Eiffel qui scintillait au loin. Un petit monsieur jouait de l’accordéon, et l’instant était tellement parfait que je ne pouvais plus m’arrêter de sourire. C’était un moment magique, un de ceux qui font de Paris une ville unique, où chaque détail semble conspirer pour créer du merveilleux.


Je crois que j’ai encore un peu de marge avant de devenir une Parisienne aigrie (hihiiii). En attendant, je savoure chaque seconde dans cette ville, j’apprécie chaque matin où j’ai si hâte de me lever.



A une passante


La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d’une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;


Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.


Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?


Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!


Charles Baudelaire


____________


  • Benjamin, W. (1999). Le Livre des passages. (S. R. Gilbert, Trad.). Gallimard. (Édition originale 1939).

  • Baudelaire, C. (1863). Le Peintre de la vie moderne. (Edition originale en français).

  • Baudelaire, C. (1857). À une passante. Dans Les Fleurs du mal

  • Rousseau, J.-J. (1782). Les Rêveries du promeneur solitaire. (Edition originale en français).

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