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Être soi avec Heidegger

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 22 oct. 2024
  • 6 min de lecture


En écho avec le poème Le Temps de vivre de Boris Vian, l'ouvrage Être soi avec Heidegger de Céline Belloq synthétise les principales idées du philosophe, enrichissant les réflexions sur l'angoisse, l'affairement et la mort.


Parmi les concepts évoqués par Heidegger, j'ai été particulièrement touché par l'expression "devenir les bergers de l'Être", que je trouve profondément poétique et qui, à mes yeux, incarne une belle invitation à prendre soin de notre existence.


Comme toujours, la collection Vivre en philosophie des éditions Eyrolles, dirigée par Balthasar Thomass, s’avère être une excellente entrée pour comprendre facilement la pensée d’un auteur complexe comme Heidegger. ( De cette meme collection voici l'article sur la pensée de Nietzsche et l'article sur la pensée de Spinoza).



I. Les symptômes et le diagnostic : Quand ce qui nous était familier nous devient étranger

Dès les premières pages de Être soi avec Heidegger, Céline Belloq, en s’appuyant sur la pensée de Heidegger, nous plonge dans la question fondamentale de notre mal-être moderne. L’angoisse, concept central de l’œuvre de Heidegger, n’est pas une simple émotion négative à fuir. Contrairement à la peur, qui est dirigée vers un objet spécifique, l’angoisse est plus profonde, car elle émane de l’expérience de la vacuité et du néant. Elle surgit lorsque le monde, que nous considérons habituellement comme familier et sûr, nous apparaît soudainement étranger.


Pour Heidegger, cette étrangeté n'est pas un accident ou une erreur à corriger, mais une manifestation fondamentale de notre condition humaine. Lorsque le monde perd sa familiarité, nous sommes confrontés à une sorte de "dévoilement" de notre existence. C’est à ce moment que nous comprenons que nous sommes des êtres "jetés" dans le monde, soumis à une réalité qui ne nous appartient pas entièrement. Cette prise de conscience nous renvoie à notre solitude radicale, à notre impuissance face aux forces extérieures, mais elle nous confronte aussi à la question du sens de notre existence.


Loin d’être uniquement négative, Heidegger voit dans l’angoisse une opportunité, une sorte d’appel. En effet, l’angoisse, en déstabilisant nos repères habituels, nous pousse à nous interroger sur ce que signifie vraiment "être soi". Elle nous éloigne des illusions et des distractions de la vie quotidienne, en nous forçant à faire face à la réalité de notre condition. À travers ce malaise, Heidegger nous invite à envisager une transformation de notre rapport à l’existence : il s’agit de répondre à l’appel de l’angoisse en devenant authentique, en cessant de vivre selon les conventions imposées par le "On" (das Man), c’est-à-dire les normes sociales qui dictent nos comportements. Cette quête d’authenticité est donc au cœur du cheminement proposé par Heidegger.


II. Les clés pour comprendre : Pourquoi est-il si difficile de répondre à la question "Qui suis-je ?"

Dans cette section, Belloq aborde une des questions centrales de la philosophie de Heidegger : Qui suis-je ? À travers la notion de Dasein, qui peut être traduit par "être-là", Heidegger décrit l'être humain non pas comme une substance fixe et stable, mais comme un être en devenir, sans cesse en relation avec son environnement. Le Dasein est un être qui doit constamment s'efforcer de se définir à travers ses choix et ses actions, car il n'a pas de nature prédéfinie.


Être humain, pour Heidegger, signifie être un projet, être un devenir. Nous sommes "jetés" dans le monde, c’est-à-dire que nous n’avons pas choisi les conditions de notre existence – notre époque, notre culture, notre contexte social. Mais cette "jetéité" n'est pas une condamnation. Elle nous rappelle que, malgré les déterminismes extérieurs, nous avons toujours la liberté de nous définir nous-mêmes par nos décisions. Chaque choix que nous faisons révèle et façonne qui nous sommes.


Cependant, cette liberté est difficile à assumer. Elle nous confronte à une responsabilité immense : celle de donner un sens à notre propre vie. Beaucoup d’entre nous préfèrent se réfugier dans le confort des attentes sociales, dans le conformisme du "On", pour éviter cette lourde tâche. Heidegger montre que nous vivons souvent de manière inauthentique, c’est-à-dire en suivant passivement des schémas de vie prédéfinis par la société, sans véritablement nous poser la question de notre propre sens.


L’angoisse, dans ce contexte, devient un moyen de libération. Elle brise les chaînes du conformisme et nous isole de la masse, nous confrontant à notre propre finitude et à la réalité inéluctable de la mort. C’est en prenant conscience de notre mortalité, et en acceptant cette finitude, que nous pouvons véritablement nous approprier notre existence et vivre de manière plus authentique. Cette lucidité nous pousse à cesser de nous cacher derrière des illusions ou des distractions et à embrasser pleinement la liberté qui nous est donnée de nous inventer.


III. Les moyens d’agir : Comment devenir authentique ?

Dans cette troisième partie, Belloq propose une réflexion sur les moyens concrets de devenir authentique en s’appuyant sur les idées de Heidegger. Pour ce dernier, l’un des leviers essentiels pour accéder à l’authenticité est la conscience de la mort. La mort, loin d’être un simple événement biologique, est un rappel constant de la finitude de notre existence. Elle nous rappelle que notre temps est limité et que chaque instant est une occasion de faire des choix qui engagent notre être.


Le rapport à la mort, que Heidegger appelle "être-pour-la-mort", est central dans le processus de devenir authentique. Accepter la mort, c’est reconnaître que nous ne sommes pas immortels, que chaque jour nous rapproche de notre fin. Cette conscience de la finitude nous pousse à agir différemment : elle nous incite à cesser de gaspiller notre temps dans des occupations futiles ou des distractions, à reprendre le contrôle de nos vies en choisissant ce qui a véritablement du sens pour nous.


Heidegger critique également l’affairement, cette tendance que nous avons à remplir nos journées d’activités diverses pour fuir nos préoccupations existentielles. Cet "affairement" est une forme de distraction qui nous empêche de réfléchir à ce qui compte réellement. Plutôt que de continuer à fuir nos inquiétudes à travers des tâches superficielles, Heidegger nous invite à faire face à nos angoisses et à les utiliser comme un moteur pour réorienter notre vie vers ce qui est essentiel.


En embrassant l’angoisse, nous prenons conscience de notre liberté fondamentale et du pouvoir que nous avons de décider de notre chemin de vie. Loin d’être une force paralysante, l’angoisse devient alors un catalyseur de liberté, nous incitant à choisir une vie plus authentique et à ne plus nous contenter de suivre les conventions sociales.


IV. Une vision du sens de l’existence : Notre vocation, devenir les bergers de l’Être

La quatrième partie du livre, plus métaphysique, explore la vision du sens de l’existence selon Heidegger. Pour lui, l’un des plus grands périls de la modernité est l’oubli de l’Être. Dans notre société contemporaine, nous sommes tellement absorbés par les progrès techniques, la productivité, et le consumérisme que nous avons perdu de vue la question fondamentale de l'Être, c’est-à-dire la question de ce que signifie exister, au-delà des simples tâches quotidiennes.


Heidegger nous propose de devenir les "bergers de l’Être", une image poétique et puissante qui suggère que notre véritable vocation n’est pas de dominer ou d’exploiter le monde, mais de veiller sur lui, de le contempler, et de maintenir une relation harmonieuse avec l’Être. Cela signifie que nous devons nous décentrer de nous-mêmes, cesser de nous préoccuper uniquement de nos désirs et de nos besoins matériels, et retrouver une manière plus contemplative et poétique d’habiter le monde.


Ce "berger de l’Être" est celui qui sait se retirer du tumulte de la vie moderne pour prendre soin du sens profond de son existence. Il s’agit de rétablir un lien authentique avec l’Être, un lien qui échappe aux mécanismes de la technique et de la superficialité. Habiter le monde en tant que penseur et poète, selon Heidegger, c’est retrouver une relation plus authentique à la vie, à soi-même, et au monde qui nous entoure.


Être soi avec Heidegger de Céline Belloq est bien plus qu’un simple livre de philosophie. C’est une invitation à repenser notre rapport à l’existence, à comprendre l’angoisse non pas comme un ennemi à fuir, mais comme une clé pour accéder à une vie plus authentique. À travers Heidegger, Belloq nous montre que l’angoisse peut devenir une alliée précieuse dans notre quête de sens, nous libérant des illusions et des distractions de la vie moderne pour nous guider vers une existence plus profonde et plus libre.


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Belloq, C. (2010). Être soi avec Heidegger. Éditions Eyrolles.

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